Elle évoque, inlassablement, une image : celle d’une fillette de dix ans, en équilibre précaire entre l’enfance et l’adolescence. Son avenir est en suspens, ses droits encore négociables.

« Pourra-t-elle rester à l’école, obtenir un diplôme et se frayer un chemin à travers le monde ? » s’interroge Mme Kanem. « Ou sera-t-elle freinée par des choses comme le mariage des enfants, les mutilations génitales féminines ou la misère extrême ? ».

Cette question – aussi urgente que fondamentale – a guidé chacun de ses pas en tant que directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA). Elle a fait de cette enfant imaginaire, emblématique du sort de millions de filles à travers le monde, l’étalon à l’aune duquel se jugent les succès ou les échecs.

Ligne de front

De ses premières missions sur le terrain, en Afrique de l’Est, à sa nomination à la tête d’une agence de l’ONU dotée d’un budget de 1,7 milliard de dollars, Mme Kanem a tenu le cap au milieu des tempêtes politiques, des controverses idéologiques et des menaces budgétaires. Surtout, elle a transformé une agence méconnue en moteur mondial des droits sexuels et reproductifs, avec des antennes dans plus de 150 pays.

À 70 ans, cette médecin de formation a annoncé son intention de quitter son poste d’ici fin juillet, plusieurs mois avant la date prévue. « Il est temps pour moi de passer le relais », explique-t-elle à ses 5.000 employés, dans un message vidéo diffusé plus tôt cette année. « Je me suis engagée à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que l’UNFPA continue de faire de grandes choses ».

En Guinée-Bissau, en 2024, l’UNFPA soutient des programmes pour mettre fin aux mutilations génitales féminines et à la violence sexiste, et faire progresser la santé maternelle et reproductive.

Un ancrage et un envol

Née au Panama, Mme Kanem rejoint l’UNFPA en 2014 après une carrière dans la philanthropie. Sa première affectation la mène en Tanzanie. Elle y découvre l’essentiel : le courage discret du personnel de terrain, les combats sans micros ni projecteurs. « C’est au niveau local que nous prouvons notre valeur », déclare-t-elle à ONU Info.

Pourtant, en 2017, lorsqu’elle prend les commandes de l’UNFPA, l’agence est affaiblie. Manque de visibilité, financements instables, attaques ciblées des courants conservateurs. Il faut reconstruire. Et convaincre.

« À mon arrivée, on disait : “Nous sommes une petite organisation en difficulté, personne ne comprend ce que nous faisons.” », confie-t-elle. « Aujourd’hui, je pense que c’est plus clair ».

Cette clarté, elle l’a elle-même imposée, en donnant à l’UNFPA une voix. Une voix ferme, qui bouscule les idées reçues sur des questions difficiles comme la fertilité, qui ose condamner les violences de genre, même quand elles prennent racine dans les nouvelles technologies. « Nous évoluons dans un marché d’idées », insiste-t-elle. « Et nous devons dire la vérité de manière assez convaincante pour rallier les alliés dont ce mouvement a besoin ».

Des tentes comme refuge

Sous sa direction, l’agence a formé des centaines de milliers de sages-femmes, intensifié ses missions d’urgence, et rejoint les points chauds du globe : camps rohingyas à Cox’s Bazar, Ukraine bombardée, Haïti ravagée par le choléra.

Au Soudan, comme en Syrie ou à Gaza, chaque tente de l’UFPA a valeur de symbole. À l’interieur, des serviettes hygiéniques, une couverture, un savon. « Elle représente le répit dont une femme a besoin en temps de crise », explique-t-elle. « Nous appelons nos kits des “kits de dignité” pour cette raison ».

Une maternité soutenue par l’UNFPA en Namibie héberge 40 femmes enceintes, auprès de sages-femmes qualifiées et disponibles.

Confronter les tabous, défendre les faits

Mme Kanem n’a pas esquivé les débats. Grossesse adolescente, harcèlement en ligne, anxiété climatique, taux de fécondité : autant de sujets inflammables abordés de front, toujours avec le même fil rouge — les droits.

« La fillette de dix ans existe », rappelle-t-elle. « Ce que pensent ses parents, les chefs religieux ou sa communauté est essentiel pour qu’elle soit bien préparée, qu’elle sache quoi faire face à des pratiques coercitives ».

Son combat, c’est aussi celui de la vérité contre les fantasmes. Sous sa houlette, l’UNFPA a renforcé les recensements nationaux et construit des bases de données pour guider les politiques de santé nationales en temps réel.

La dernière édition annuelle du Rapport sur l’état de la population mondiale, l’une des publications phares de l’agence, s’attaque ainsi au mythe de l’« effondrement démographique ». Non, les jeunes ne font pas moins d’enfants par conviction idéologique et par souci de ne pas aggraver la crise climatique. En général, s’ils décident de ne pas procréer, c’est parce qu’ils n’en ont tout simplement pas les moyens. 

« Le taux de renouvellement des générations dans le monde ne met pas la planète en péril », tranche par ailleurs la haute responsable. « Les faits indiquent que vous pouvez avoir autant d’enfants que vous pouvez vous le permettre ».

Résister dans un monde fragilisé

Sous tension croissante – attaques contre les droits reproductifs et l’avortement, montée des nationalismes, défiance envers les institutions multilatérales – Natalia Kanem a tenu bon. Même face aux coupes budgétaires venues de Washington, notamment durant les deux administrations Trump. « L’UNFPA dispose de plus de fonds que jamais auparavant. Mais ce ne sera jamais suffisant face à l’ampleur des besoins ».

Les ressources sont une chose. Mais il faut de la rigueur. De la constance. « Le système multilatéral est aujourd’hui remis en cause, alors qu’il est plus que jamais nécessaire. Nous devons faire nos preuves chaque jour. Et quand nous commettons des erreurs, nous devons nous relever, les corriger et trouver des alliés ».

Parmi ces alliés, le secteur privé. En 2023, l’UNFPA s’est associé à des entreprises technologiques pour déployer, au Kenya, des services mobiles de santé sexuelle visant à prévenir les grossesses précoces et les nouvelles infections au VIH.

© UNFPA/Anirban Mahapatra

À 70 ans, Natalia Kanem a annoncé son intention de quitter son poste d’ici la fin juillet, plusieurs mois avant la date prévue. « Il est temps pour moi de passer le relais », explique-t-elle.

Changer les lois, mais surtout les esprits

Sous sa direction, l’agence a poursuivi ses efforts contre les mutilations génitales féminines et les mariages précoces. Mais elle y a ajouté un levier essentiel : en plus de changer les lois, il convient de transformer les mentalités.

« Oui, sans le moindre doute », répond-elle lorsqu’on lui demande si des progrès ont été accomplis. « Il est capital de voir des chefs religieux ou traditionnels s’opposer à certaines pratiques… et de collaborer avec les systèmes scolaires pour que les filles elles-mêmes comprennent les risques et puissent faire des choix éclairés ».

La pandémie de coronavirus”>COVID-19 a été un revers. Avec la fermeture des écoles, certaines communautés ont accéléré les cérémonies traditionnelles. Mais dans de nombreux pays – notamment en Indonésie – les mutilations régressent, grâce notamment à la mobilisation de jeunes femmes, qui prennent la parole au sein même de leurs communautés.

Ce n’est qu’un début

L’avenir ? Elle n’en parle pas avec inquiétude, mais avec élan. « Nous nous sommes transformés, modernisés. Les perspectives pour l’UNFPA sont infinies ».

Elle-même envisage une courte pause – musique, famille, repos. Mais son engagement reste intact. « Je sais que ma passion pour les droits des femmes et des filles ne faiblira pas… C’est un engagement de cœur ».

Et puis, il y a toujours cette fillette.

« Quand cette enfant de dix ans réussit, c’est toute la société qui réussit. Le monde n’en est que meilleur ».

Source of original article: United Nations (news.un.org). Photo credit: UN. The content of this article does not necessarily reflect the views or opinion of Global Diaspora News (www.globaldiasporanews.com).

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