Par un matin éclatant au large de Villefranche-sur-Mer, le Sagitta III fend les eaux turquoises de la Méditerranée, longeant les pontons et terrasses bordées de pins de la Côte d’Azur. Ce bateau scientifique de douze mètres – baptisé du nom d’un zooplancton redoutable à la tête crochue – se dirige vers une bouée jaune solitaire, oscillant au large.

Au loin, la ville balnéaire scintille, mirage de villas pastel et de clochers accrochés aux falaises. Mais à bord du Sagitta III, la romance s’arrête au bastingage. Lionel Guidi, chercheur au Laboratoire d’océanographie de Villefranche – le LOV, pour les intimes – scrute la mer d’un regard affûté.

Il est là pour pêcher du plancton.

Autour de lui, l’équipage expérimenté s’active, sous la férule du capitaine Jean-Yves Carval. « Le plancton, c’est fragile », avertit ce marin brut de décoffrage, qui a passé près d’un demi-siècle à piloter cargos, chalutiers – et désormais navires scientifiques. « Si tu vas trop vite, tu fais de la compote ».

Le bateau ralentit à l’approche de la bouée, site de prélèvement quotidien pour M. Guidi et ses collègues du LOV depuis des décennies. Sur le pont, Christophe Kieger, chef mécanicien barbu, prépare le treuil. Son câble de 3.600 mètres déroule lentement un filet aux mailles si fines qu’un grain de sel marin aurait du mal à y passer. Il s’enfonce jusqu’à 75 mètres de profondeur.

Quelques minutes plus tard, le filet remonte, lourd d’une matière brunâtre et gélatineuse.

« Il y a de la vie ! » s’exclame Anthéa Bourhis, une jeune technicienne de laboratoire originaire de Bretagne, en versant délicatement le contenu dans un seau en plastique.

Plus qu’un simple mélange d’eau de mer et de vase, cette récolte contient en réalité les archives vivantes du passé de la planète – et peut-être la clé de son avenir.

Lionel Guidi, 44 ans, chercheur en plancton au Laboratoire d’Océanographie de Villefranche, dit LOV (IMEV-Institut de la Mer de Villefranche, Sorbonne Université-CNRS).

Une tendance inquiétante

Le plancton est le cœur battant du moteur océanique. Ces organismes minuscules absorbent le dioxyde de carbone, relâchent de l’oxygène, et soutiennent toute la chaîne alimentaire marine. Sans eux, la vie telle que nous la connaissons ne serait pas possible.

Mais qu’est-ce que le plancton, au juste ?

Ce n’est pas une espèce, mais une myriade de créatures nomades liées par une caractéristique : leur incapacité à nager à contre-courant. Elles dérivent au gré des marées et des tourbillons, portées par des flux invisibles qui dictent leur existence. Certaines sont plus petites qu’un grain de poussière ; d’autres, comme les méduses, peuvent dépasser un mètre.

On distingue deux grandes familles. Le phytoplancton, végétal microscopique, capte la lumière du soleil et, au fil du temps, a produit plus de la moitié de l’oxygène que nous respirons. Le zooplancton, quant à lui, est animal : souvent minuscule, parfois visible à l’œil nu, il se nourrit de ses cousins végétaux, chasse, et finit lui-même en proie – nourrissant poissons, baleines et oiseaux marins.

Au LOV, les chercheurs étudient ces organismes depuis des décennies. Leurs prélèvements quotidiens, réalisés à quelques milles des côtes, constituent l’une des séries d’observation planctonique les plus anciennes au monde.

Et ces relevés manifestent une évolution inquiétante.

sur le point qu’on est allé échantillonner ce matin depuis sur les 50 dernières années, il y a eu une hausse d’à peu près 1,5° de la température à 10 mètres de profondeur. Donc ça c’est un changement physique qui est relié au changement climatique. On a par exemple vu que, de façon générale, on a moins de production primaire de phytoplancton. Ça, c’est le début de la base de la chaîne alimentaire, de la chaîne du réseau trophique. 

« Sur notre site d’observation, sur les 50 dernières années, il y a eu une hausse d’à peu près 1,5° de la température à 10 mètres de profondeur », explique Lionel Guidi à ONU Info. « Et nous observons, de façon générale, moins de production primaire de phytoplancton ».

Les conséquences potentielles peuvent être considérables. Si le phytoplancton décline, c’est toute la chaîne marine qui vacille – du zooplancton aux stocks de poissons, jusqu’à la biodiversité océanique. Sa capacité à séquestrer le CO₂ en profondeur, par la « pompe biologique » – l’un des grands régulateurs naturels du climat – pourrait aussi s’en trouver affectée.

Phronima, un zooplancton abyssal, a inspiré le design de la créature du film « Alien », de 1979.

Aliens microscopiques

De retour à terre, dans les locaux du LOV, Lionel Guidi désigne l’échantillon du jour : « Tout commence par le plancton », affirme le chercheur, passé par le Texas et Hawaï avant de s’installer à Villefranche.

Anthéa Bourhis, la technicienne de laboratoire, à enfilé une blouse blanche. Elle s’affaire sur le prélèvement de zooplancton, qu’elle plonge dans du formol – une étape mortelle mais nécessaire : « S’ils bougent, ça fausse le scan », explique-t-elle.

Une fois figés, les minuscules animaux sont introduits dans un scanner digital. Peu à peu, des formes émergent à l’écran : des copépodes gracieux, translucides et aux antennes plumeuses, apparaissent comme suspendus dans l’eau.

« Il y a de très belles choses, là », lance Mme Bourhis en souriant.

Elle transfère les images dans une base de données dotée d’une intelligence artificielle capable de classer les zooplanctons par groupe, famille et espèce.

« Ils ont des appendices partout, des bras dans tous les sens », note M. Guidi. « Il y a des trucs qui, vus en gros, font très peur ». Un spécimen abyssal, la phronime, a même inspiré la créature d’« Alien », le film de Ridley Scott.

Anthéa Bourhis, 28 ans, technicienne au Laboratoire d’océanographie de Villefranche, dit LOV, verse la pêche du matin dans un scanner pour produire une image numérique du zooplancton.

De la science à la politique

Le monde du plancton est en mutation — mais à un rythme trop lent pour être capté par des instantanés. C’est là que les séries d’observation de longue durée menées par le LOV prennent tout leur sens : elles permettent de distinguer les cycles naturels des bouleversements liés au climat.

« Quand on leur explique qu’à partir du moment où il n’y a plus de plancton, il y a plus de vie dans l’océan. Et quand il y a plus de vie dans l’océan, la vie terrestre ne dure pas longtemps, là d’un seul coup les gens sont vachement plus intéressés », confie Jean-Olivier Irisson, également spécialiste du plancton au LOV.

La semaine prochaine, à une quinzaine de kilomètres à l’est, Nice accueillera la troisième Conférence des Nations Unies sur l’océan (UNOC3) – un sommet de cinq jours réunissant scientifiques, diplomates, activistes et acteurs du secteur privé pour redessiner l’avenir marin.

Parmi les priorités : faire avancer l’objectif « 30×30 » (protéger 30 % de l’océan d’ici 2030), et accélérer la ratification du traité historique sur la haute mer, ou accord BBNJ, visant à protéger la vie au-delà des eaux territoriales.

M. Guidi insiste sur l’urgence de ces efforts pilotés par l’ONU : « Tout cela doit être pensé avec des gens capables de faire les lois, mais sur la base du raisonnement scientifique ».

Lui ne prétend pas écrire les lois. Mais il sait où la science intervient. « On transmet des résultats. Ce ne sont pas des opinions, ce sont des faits ».

Et à Villefranche, Lionel Guidi, Anthéa Bourhis et le capitaine Carval poursuivent leur mission : extraire la vie de la mer, l’immortaliser en pixels et partager ses données avec le monde. Se faisant, ils dessinent les contours d’un océan en péril – et révèlent les fils invisibles qui maintiennent l’équilibre du vivant.

Source of original article: United Nations (news.un.org). Photo credit: UN. The content of this article does not necessarily reflect the views or opinion of Global Diaspora News (www.globaldiasporanews.com).

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