Photo credit: DiasporaEngager (www.DiasporaEngager.com).

Sur les réseaux sociaux, les annonces fusent : l’Europe a besoin de travailleurs agricoles, de routiers, d’employés en hôtellerie et services ou autres. Des petites vidéos de 1 à 3 minutes maximum, produites par des particuliers, évoquent des opportunités de décrocher un emploi dans l’un de ces secteurs en s’inscrivant sur un site ou en cliquant sur des liens internet. D’autres proposent des contacts directs avec des intermédiaires qui disposent de plusieurs contrats en CDD ou en CDI.

Saïd, 29 ans, coiffeur, fait partie des personnes qui ont pris contact avec l’un de ces intermédiaires grâce à un ami installé depuis quelques mois en Italie. Il a réussi à décrocher une promesse d’embauche, dans l’attente de l’acquisition du contrat final. Aujourd’hui, il croise les doigts et attend avec impatience l’obtention d’un contrat en bonne et due forme avant l’entame des démarches administratives auprès du consulat d’Italie à Casablanca. « L’intermédiaire m’a demandé l’envoi d’une copie de la CIN et du passeport ainsi que 3.000 DH pour couvrir les frais de ce qu’il appelait ‘’prise de rendez-vous’’. Je dois maintenant attendre la validation du contrat par les autorités italiennes compétentes. Cela peut prendre une semaine, un mois ou deux, voire plus. L’intermédiaire m’a promis de me contacter une fois le contrat validé. Il compte m’envoyer une copie sur WhatsApp en contrepartie de 70.000 DH que je dois déposer auprès de l’un des membres de sa famille. Après, j’aurais droit à une copie du contrat pour entamer les procédures relatives à l’obtention du visa», nous a-t-il confié.

Toutefois, Saïd sait que rien n’est sûr et que cette aventure peut aboutir comme elle peut échouer. « Nombreux sont ceux qui ont été victimes d’intermédiaires escrocs ou qui ont vu tout simplement leur contrat invalidé pour une raison ou une autre. Mais, on tente le tout pour le tout », dit-il en souriant.

En effet, la vente de contrats de travail est un commerce connu et ancien, notamment dans certaines régions du Maroc. Il s’agit d’un marché lucratif même s’il est difficile de chiffrer les recettes générées par ce trafic, qui demeure dominé par des intermédiaires et des réseaux qui peuvent facilement se transformer en escrocs.

Que savons-nous sur ces contrats ? Qu’en est-il de leur nature juridique, de leur prix et de leur circuit de circulation? Quid de la réalité de la demande européenne concernant les travailleurs étrangers? Quel rôle jouent les intermédiaires et leurs réseaux? Qu’en est-il du rôle des autorités compétentes et de la responsabilité des pays d’accueil? Décryptage.

Forte demande de main-d’œuvre étrangère

Aujourd’hui, l’Europe cherche désespérément des travailleurs étrangers. Le vieillissement de la population et les niveaux insuffisants de migration y sont pour beaucoup. La pandémie de Covid-19 a également chamboulé les conditions de travail et remis en cause plusieurs postulats. Selon la dernière édition de l’enquête réalisée par Pôle emploi français sur les « besoins en main d’œuvre» (BMO 2023) des entreprises, plus de trois millions de projets de recrutement sont prévus cette année. 72% d’entre eux concernent des emplois durables dans l’hôtellerie-restauration, l’agriculture, la santé ou encore les services à la personne. Plus précisément, 300.000 postes sont à pourvoir dans la restauration, 50.000 dans les transports, ou encore 80.000 dans les bâtiments.

En Allemagne, pas moins de 87% des entreprises familiales allemandes interrogées par l’Institut Ifo de Munich ont déclaré ressentir les effets de la pénurie de main-d’œuvre. Idem pour l’Autriche où plus de 250.000 postes sont vacants et la Finlande où tous les secteurs souffrent d’un recrutement à la peine et d’une pénurie de main-d’œuvre. Notamment dans les secteurs de la santé et des services sociaux, ainsi que dans les secteurs de l’alimentation et de l’hébergement. La tendance est la même du côté de l’Espagne où les entreprises peinent à trouver des travailleurs, notamment dans les secteurs de la gastronomie, du tourisme et de la construction.

Pour faire face à cette situation, tous les moyens sont bons pour attirer la main-d’œuvre étrangère dans l’espace Schengen, allant même jusqu’à sa naturalisation. Tel est le cas de l’Allemagne qui compte réduire les obstacles bureaucratiques à l’immigration, raccourcir les délais de naturalisation et faciliter la plurinationalité. C’est le cas également de l’Espagne qui envisage, elle aussi, de réformer la réglementation en matière d’immigration et d’assouplir les exigences actuellement requises pour obtenir des documents de séjour et de travail. L’objectif est de pouvoir répondre aux besoins de main-d’œuvre de certains secteurs économiques pour lesquels les recrutements s’effectuent désormais sur un marché du travail mondial. La voie contractuelle fait partie des pistes empruntées pour embaucher cette main-d’œuvre étrangère.

Réseaux, prix et nature des contrats

Au Maroc, la vente des contrats de travail en provenance des pays de l’UE est un phénomène qui ne date pas d’hier. Nombreux sont les Marocains qui ont immigré grâce à cette voie. Aujourd’hui encore, il y a de plus en plus de demandes concernant ces contrats de la part de personnes qualifiées comme celles non-qualifiées.

Aziz Kattouf, militant des droits de l’Homme installé à Milan, soutient qu’«il y a une répartition des marchés de contrats au Maroc entre ceux en provenance de l’Italie dominé par une clientèle issue de l’axe Béni Mellal, El Kelaâ des Sraghna, Souk Sebt et Khouribga et ceux en provenance de la France fortement demandés par une clientèle issue de Souss, Berkane et Oujda. Les personnes issues de la région orientale et Nador ciblent ceux d’origine roumaine. La Roumanie est utilisée souvent comme un point de passage avant de rejoindre l’espace Schengen», nous a-t-il précisé. Et de poursuivre : «Il y a un autre marché de contrats qui concerne certains métiers qui exigent une très bonne qualité de formation comme l’Allemagne et le Canada. Ce marché est peu connu et peu d’informations filtrent concernant les prix des contrats et les intermédiaires ».

Au sujet de la nature de ces contrats, notre interlocuteur distingue entre les contrats saisonniers qui prennent fin après un certain temps et ceux renouvelables qui permettent un séjour légal sur le territoire du pays concerné. Mais il précise, cependant, que cette dernière catégorie ne garantit pas la sécurité de l’emploi et suscite certains problèmes pour les embauchés comme le fait que des patrons refusent de renouveler ces contrats ou exigent une somme d’argent conséquente pour le faire. « Certains employeurs osent même disparaître des radars en laissant pour compte les employés recrutés », ajoute-t-il. Concernant les intermédiaires, notre interlocuteur soutient que ce sont d’anciens travailleurs en agriculture ou en bâtiment ou autres qui ont de bonnes relations avec le patronat. « Ils procèdent souvent soit en complicité avec les employeurs ou via des sociétés écrans. Certains sont de simples escrocs qui prétendent avoir des contrats et tiennent à percevoir des avances auprès d’un grand nombre de candidats à la migration avant de disparaître. Ce fut le cas d’un trafiquant à Benslimane qui a pu engranger trois millions de DH et qui s’est volatilisé, précise-t-il. Certains intermédiaires se sont spécialisés dans des services annexes, comme c’est le cas en Espagne où ils vendent des contrats aux migrants appelés à renouveler leur titre de séjour après trois années d’installation dans ce pays. Ces contrats obligatoires pour le renouvellement du titre de séjour sont vendus entre 50.000 et 70.000 DH. Sans parler des intermédiaires spécialisés dans les rendez-vous relatifs aux visas ou dans la facilitation de l’obtention des visas ou encore dans la fourniture des pièces obligatoires pour avoir un visa (compte bancaire, attestation de travail,…). Il y a même ceux qui peuvent procurer de faux visas ».

Les intermédiaires escrocs œuvrent également via certaines agences ou sociétés fictives ou par le biais des écoles de langues. Certains d’entre eux opèrent via les réseaux sociaux en lançant des portails électroniques et en les reliant à des pages sur les réseaux sociaux. Ils publient également un lien électronique vers un site européen de l’immigration pour assurer “plus de crédibilité”.

Sur ces pages sont déposées des annonces sur les «opportunités d’émigrer en Europe» via des contrats de travail, en échange de sommes d’argent destinées à couvrir les frais liés aux procédures administratives (frais d’inscription, frais de déplacement, …). Les responsables de ces portails ou pages Facebook demandent souvent aux intéressés l’envoi d’une copie de la carte nationale d’identité, et une copie du reçu de transfert de l’argent sur un compte de l’entreprise et promettent d’envoyer le contrat par poste. Plusieurs victimes de ces opérations d’escroquerie ont cru qu’il s’agissait de plateformes officielles, avant de réaliser que l’affaire est liée à des escrocs professionnels.

Certains intermédiaires rassurent les candidats qu’ils seront accueillis par un agent affilié à leur entreprise une fois arrivés au pays de destination. Ils s’engagent même à leur fournir repas et logement. Et pour gagner leur confiance, les escrocs communiquent via l’application “WhatsApp”, et conseillent aux cibles de suivre les étapes prescrites, notamment le paiement du montant relatif à l’achat du contrat.

Saïd a une idée de ces conditions d’accueil et de travail. En effet, l’intermédiaire l’avait déjà averti qu’il serait logé seulement une semaine chez lui une fois qu’il débarque en Italie et qu’il devrait trouver un travail par ses propres moyens. Son ami installé en Italie depuis une année, évoque de mauvaises conditions de logement et de travail. « Il vit dans une maison vétuste à la campagne avec plusieurs autres migrants de différentes nationalités et il s’est trouvé obligé de travailler dans l’agriculture alors qu’il ne s’agit pas de son domaine de spécialisation », nous a-t-il confié.

S’agissant des prix des contrats de travail, Aziz Kattouf nous a indiqué qu’au cours des dernières années, ils ont atteint des seuils inabordables. Tel est le cas des contrats en provenance de la France dont les prix s’élèvent à 140.000 DH contre 100.000 DH auparavant. En Italie, les prix sont passés de 60.000 ou 70.000 DH à 100.000 DH. « A noter qu’actuellement, ce marché n’est plus dominé par les seuls intermédiaires étrangers, les employeurs français ou italiens y ont fait leur entrée. Il y a même l’émergence de nouveaux marchés comme le Portugal, le Canada et la Roumanie même si cette dernière n’appartient pas à l’espace Schengen», nous a-t-il révélé.

Relation de travail ou trafic illicite de migrants ?

Pour Hassan Laajaj, consultant en droit social et relations professionnelles et ancien directeur de travail, les contrats en provenance de l’étranger et en circulation au Maroc sont des promesses de pré-embauche et non des contrats en bonne et due forme. Il s’agit, en effet, d’un document destiné à faciliter les procédures d’obtention de visas pour les candidats à l’émigration. « Ces documents sont encadrés par les lois du pays de destination puisque le contrat ainsi que l’employeur sont des étrangers », nous a-t-il précisé.

De son côté, Said Machak, enseignantchercheur à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, nous a expliqué que ces contrats s’inscrivent dans le cadre des accords bilatéraux en matière de circulation, de séjour et d’emploi, entre le Maroc et plusieurs pays dont la France, l’Espagne et l’Italie. « Ces accords sont considérés comme le cadre juridique et le document de référence concernant les travailleurs migrants. Tel est le cas de l’accord conclu avec la France permettant de faire venir les travailleurs saisonniers selon une procédure simplifiée», indique-t-il. A rappeler que la France accueille chaque année environ 16.000 travailleurs saisonniers étrangers, selon un récent rapport du Sénat intitulé : «Immigration clandestine : une réalité inacceptable, une réponse ferme, juste et humaine», qui proviennent en quasi-totalité de trois pays : la Pologne, le Maroc (environ 7.000 saisonniers chacun) et la Tunisie (900 personnes). Les Marocains constituent 75% des saisonniers étrangers en France, presqu’exclusivement des hommes employés au Smic par des exploitants agricoles, en particulier dans les régions de Provence-Alpes-Côte d’Azur, Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie.

Malgré cela, notre interlocuteur souligne que les contrats de travail en circulation échappent souvent à ce cadre réglementaire et font l’objet de transactions de la part des intermédiaires ou des employeurs. « Au niveau du Maroc, peu nombreux sont les contrats qui passent par les canaux officiels, notamment l’ANAPEC. En effet, ces contrats sont dominés par des intermédiaires qui manœuvrent dans le cadre de réseaux ou en complicité avec des employeurs étrangers », observe-t-il. Une action jugée illégale, selon lui, puisqu’elle ne se différencie pas trop du trafic illicite des migrants. «Le fait de vendre des contrats à plusieurs personnes contre des sommes allant jusqu’à 100.000 DH ou plus par personne signifie qu’on n’est plus dans des relations de travail entre un employeur et un employé, mais, plutôt, dans une relation de trafic dont l’objet est de faciliter l’immigration de certaines personnes. Bref, ces contrats sont devenus des instruments du trafic illicite puisqu’ils correspondent bien à la définition onusienne du trafic des migrants qui décrit ce dernier comme toute activité destinée à « aider une personne à passer illégalement une frontière ou à séjourner illégalement dans un pays afin d’en retirer un avantage financier ou matériel » », a-t-il développé.

Selon Saïd Machak, la responsabilité de cet état de fait est du ressort des pays d’accueil qui n’assument pas leur rôle de contrôle en procédant à des vérifications des contrats en question, en cherchant à savoir s’il s’agit de vrais ou de faux documents et si véritablement il y a eu un déplacement de l’intéressé vers le pays concerné. « Il n’y a pas non plus de contrôle des conditions de travail des recrutés (affiliation aux services sociaux, respect des horaires de travail, hygiène,…). Une mission qui s’avère parfois impossible puisque ces marchés de contrats se développent dans des zones d’ombre à l’abri des radars des pouvoirs publics ».

Source of original article: Libération (www.libe.ma).
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